Mai 2020
Biographie à 4 mains
Dans cette section, un jeune et un adulte de notre équipe s’y prennent à quatre mains pour présenter une brève biographie d’une personne âgée de Laval.
Des rencontres, des discussions, des réflexions, des partages… entre François Tardif, notre rédacteur en chef, Rawassi, une jeune Lavaloise et Madame Gendron, une personne significative pour nous tous qui nous raconte un moment heureux de la vie et qui s’ouvre sur ses réflexions du jour.
Prêtons l’oreille et ouvrons notre cœur à la sagesse ambiante.
Photo de Claude Paiement
Rencontrons Solange Veys Gendron, 87 ans, fière dame qui revient doucement sur le cheminement qui l’a menée vers la vie dans une maison bigénérationnelle.
La famille !
Une maisonnée remplie de 4 enfants et de Fernand, son mari, Solange en avait toujours rêvé. La vie de famille, avant le départ des enfants, dans un cocon imprégné de chaleur, de joie, d’un chien protecteur, de repas du dimanche en forme de rituels partagés autour de la piscine, de voyages rieurs, d’amis et d’activités par centaines, tout va de soi « ensemble », dit-elle souvent, une lumière dans la voix.
À présent, l’esprit alerte de Solange veut toutefois quitter la nostalgie heureuse et nous entretenir des petites sagesses qu’elle a glanées ici et là.
Quitter la maison familiale
Progressivement, Solange et Fernand ont quitté la maison, tout juste après les enfants, nouvellement adultes. Toujours regarder en avant et conter ses richesses (« Count your blessings »), voilà la façon d’aborder chaque étape de vie pour ce couple dynamique. La vie autonome en appartement les a menés doucement et tout naturellement, disaient-ils alors, vers la "grande vie" dans une très belle et toute neuve résidence pour aînés de Laval.
Le leurre
Solange, malgré le début de maladie de son mari, aborde cette nouvelle vie avec toute la bonne volonté possible. Ici, c’est la vie d’hôtel. Tout est si propre, si beau… les vacances perpétuelles, les jeux en groupe, les repas de qualité, un secteur de vie où vivent tout près ses enfants. La perfection… sauf que… sauf que… des poussières de doute s’infiltrent ici et là dans les réflexions de Solange qui conclue intérieurement que, malgré le bonheur institutionnalisé, elle ne sent pas chez soi. Les hôtels, par définition, on les aime aussi parce qu’on sait qu’on les quitte et qu’on revient vers "son" monde.
Isolement
Au bout de quelques années, son mari adoré quittant notre monde après une longue maladie, elle se retrouve lentement engouffrée dans un lieu qui ne lui ressemble pas. Pas d’interactions intergénérationnelles; les enfants, quoique très attentionnés, ne se rendent pas totalement compte, pense-t-elle, de ce qui grandit en elle; un grand vide.
Les repas, les discussions, les rencontres fortuites se passent trop souvent avec ceux qui, hier, étaient des étrangers. Sans tristesse insurmontable, sans crise intérieure soutenue, le monde s’effrite un peu. Le bonheur, puisque tout est bien où elle vit (l’attention des gens, la propreté des lieux, l’amabilité et la sécurité ambiante), est bien visible mais ce bonheur glisse sur l’esprit de Solange et s’écoule au loin dans la rivière qu’elle peut voir derrière ce monde qui est de moins en moins le sien. Malgré tout, son sourire résilient reste bien présent!
La plus jolie histoire de ma vie
Un dimanche alors qu’elle est seule, toujours souriante, mais un peu catastrophée intérieurement, deux de ses petites filles courent vers elle et, avant même que leurs parents aient le temps d’introduire le sujet qu’ils veulent aborder, les deux petites lui disent :
« MamieSol, MamieSol, les petites filles sont très excitées et heureuses de lui dire, il faut que tu dises oui, Mamie, il faut que tu dises oui »
« Oui, oui, je dis oui les filles! » dit MamieSol en riant sans même connaître la question.
La vie en commun
Elle a bien fait de dire oui, car, sans qu’elle ne le sache, ses enfants, voyant bien que ça n’allait pas parfaitement, ont d’abord tenté de lui proposer l’achat d’une maison puis ils ont opté pour l’achat d’une maison bigénérationelle où elle vit maintenant depuis 9 ans avec une de ses filles, son gendre et deux de ses petites-filles. Solange considère que la vie en commun qu’elle a la chance de vivre est le prolongement idéal de son histoire ; une façon tout à fait adaptée à ce qu’elle attend de la vie de famille.
La NON-belle-mère
Notre discussion avec Solange, outre le partage de vie, nous permet aussi de faire ressortir de simples sagesses qu’elle a expérimentées et qu’elle tient à nous partager ici.
Solange a son entrée personnelle ; par contre une porte intérieure communique avec la famille et cela lui permet de se sentir en sécurité. Plusieurs écueils sont toutefois à éviter croit-elle. « Il faut, si on veut vivre agréablement dans une maison bigénérationnelle, faire certains deuils. Ne jamais jouer à la belle-mère, ni trop à la mère; se dire et se répéter : CECI N’EST PAS DE MES AFFAIRES, dans le but de garder une saine distance. Ne pas se mêler des enjeux de la famille. »
Solange nous partage aussi, et c’est très instructif pour ceux qui comptent vivre avec une autre famille; « il faut, dit-elle encore, créer une nouvelle relation où les deux bulles cohabitent de façon séparée. »
Quel est le bénéfice alors?
Vous vous posiez assurément cette question aussi en lisant ces lignes? Passer d’une solitude à une autre? Pourquoi?
La présence d’abord : « Quand j’entends des pas; je les reconnais. C’est la petite, me dis-je… et cette présence rassurante me réchauffe le cœur! »
La sécurité ensuite : « Ils sont là, je les vois souvent et il y un homme que je connais dans la maison élargie (pour les femmes de mon âge, avoir un homme protecteur à la maison rassure incroyablement) »
Le partage facile : « Chaque mercredi, je les invite à souper, mais maintenant je perds un peu de mes habiletés et j’achète des repas déjà faits et on essaie de garder certains rituels de proximité si agréable! »
Le bénéfice est quotidien : la proximité physique est hors de prix, d’autant plus que Solange est encore autonome bien qu’elle ne puisse plus utiliser de voiture ou faire des courses.
Le futur et le vieillissement
D’innombrables pertes surgissent avec la vieillesse et Solange n’est pas épargnée. Les énumérer ici ne servirait pas le propos de Solange qui ne veut pas attirer trop l’attention sur elle. L’important toujours pour cette grande dame est de faire œuvre utile.
Tout d’abord, elle veut souligner l’importance de donner l’heure juste à son entourage et de parler de son état réel. « C’est une chance, et elle le sait, d’avoir près d’elle quatre enfants l’ayant écoutée avec attention, et l’ayant comprise au moment où la nécessité s’imposait. »
Ensuite, elle veut partager à tous l’importance de garder un espace de liberté personnelle. Vieillir c’est bien entendu perdre tant de libertés; liberté d’aller où bon nous semble, liberté d’avoir des objectifs de carrière, liberté de contempler le futur, de contempler les réalisations qu’on veut entreprendre, liberté de bâtir le monde autour de soi à notre image.
Petits messages à tous
Solange, sage femme, nous dit : « Faire avec ce qui nous reste. Voilà le sens que je donne maintenant à ce qui a guidé ma vie quand je me répétais: « Count your blessings ».
Je lis beaucoup et je voyage énormément dans ma tête.
J’ai perdu la capacité de tant de choses; par exemple, je n’ai plus les opportunités de remplir ma maison de ma famille et de mes amis autour d’un repas du dimanche mais j’ai gagné aussi une expertise dans l’utilisation au maximum des qualités qui me restent : je voyage intérieurement et garde le plus longtemps possible mon entière liberté mentale.
Aussi longtemps que je le pourrai, cette vie en cohabitation bigénérationnelle me va parfaitement. Merci la vie! Et merci pour ce beau partage. Puis-je ainsi aider à approfondir quelques réflexions pour ceux qui vivent le fait de vieillir. »
Solange aurait pu nous parler longtemps du haut de ses 87 ans et il m’importe de dire ici qu’on lui réserve déjà un autre article pour l’inciter à nous partager ses lectures.
Heureux de vous partager sa sagesse qui nous touche tant! Solange adore être revenue vivre avec sa famille. Essayons ainsi d’y voir une pointe de lumière jaillir des nuages qui nous obscurcissent un peu trop l’horizon ces temps-ci.
Cette mini-biographie à 4 mains est complétée par Rawassi qui a aussi appelé Mme Gendron pour lui poser quelques questions.
Rawassi
Voici son reportage photo :