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Décembre  2020 

     La Vie de l'autre  numéro 6

Un conte de Noël pour les grands

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À deux mains

Quand j’me suis réveillé, je ne comprenais rien de ce qui m’arrivait.... des dizaines de personnes s’agitaient bizarrement autour de moi et le temps semblait suspendu. Quel jour étions-nous? Quelle semaine? Quelle heure? Quand mes yeux ont commencé à parfois s’ouvrir, je ne sais même pas si je me souvenais de mon nom. Une dame au regard très doux revenait souvent tout près de moi; elle plaçait son visage au-dessus du mien en me souriant silencieusement. C’est au moment où j’ai réalisé que derrière ses beaux cheveux blonds, je pouvais apercevoir le plafond que j’ai compris que j’étais couché dans un lit. Qu’est-ce que je faisais là?

 

On me parlait, on s’affairait, on me bombardait les pupilles de lumières aveuglantes puis je replongeais dans le noir immense et vide pendant une éternité.

 

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Autour de moi, pour chercher à savoir qui j’étais, j’ai commencé à essayer d’identifier des objets qui entouraient mon lit. Ici une chaise… voilà à peu près le premier mot réel qui est apparu dans mon cerveau gelé : UNE CHAISE… je voyais ce mot et cet objet virevolter dans mon esprit… des milliers de chaises peuplaient tout mon monde et je pouvais passer des temps immémoriaux à les observer avec de plus en plus de minutie. Je ne ressentais rien sauf un grand froid, une sensation très désagréable de vivre à l’intérieur d’un immense glacier mais, toujours, ce visage tout doux qui me réchauffait et me ramenait une certaine paix intérieure.

 

Je ne connaissais pas cette dame, ça j’en étais certain et je ne connaissais personne de tous ceux qui tourbillonnaient autour de moi incessamment. Qui étaient tous ces gens?

 

Un jour, les chaises ont laissé la place à une fenêtre inondée de lumière blanche qui faisait fondre le glacier autour de moi, puis j’ai pu voir des vêtements, des murs, une télévision, des appareils électroniques qui faisaient un ronron continuel comme si un chat me caressait les oreilles. Je commençais à m’attacher à tous ces objets qui m’entouraient et ramenaient ma conscience à une certaine réalité…  mais je n’avais alors aucune idée de qui j’étais et de ce que je faisais là. Est-ce que tout cela était à moi? Sans doute, mais qui était ce moi dont je commençais à percevoir l’esprit? Dans le coin de la chambre qui était peut-être la mienne, un objet commença à m’intéresser. L’objet lointain était flou, noir et semblait se tenir tout seul debout et avait une forme vaguement humaine mais jamais il ne bougeait.

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Et la dame revenait sans cesse, silencieuse et tellement chaleureuse et rassurante. Un jour, elle a même ouvert la bouche et j’ai commencé à entendre des sons pour la première fois comme si je venais de naître et c’est là que j’ai réalisé d’un seul coup que j’étais dans un hôpital et que j’étais entre la vie et la mort. D’un seul trait, tous mes sens se sont ouverts et j’ai ressenti un mal terrible dans tout le corps. En un seul instant, la réalité s’est abattue sur moi comme un monstre de métal qui m’écrasait. Tout revenait à la réalité et je pouvais voir que des dizaines de machines étaient branchées sur toutes les parties de mon corps. Dans ma bouche, un long tube de plastique me déchirait le souffle jusqu’au fond de la gorge et j’aurais voulu hurler et tout arracher. Le mal était physique, certes, mais beaucoup plus profond comme si ma vie se baladait sur un fil de fer au-dessus d’un précipice brûlant.

 

À ce moment précis où j’ai compris qu’un accident m’était arrivé et que j’allais probablement mourir, j’aurais voulu, si j’avais pu, crier plus fort que mille groupes de musique heavy métal réunis mais j’étais impuissant, prisonnier d’un corps qui n’obéissait plus à rien de ma volonté. La dame blonde, une infirmière sûrement, m’a sauvé de la détresse en me caressant tout doucement le visage.

 

J’aurais voulu qu’elle me tienne la main comme ma mère (ça y est, je me souvenais enfin de ma mère, blonde elle aussi et si rassurante qui me tenait la main quand on allait au parc après l’école) mais, je ne sais trop pourquoi, je sentais qu’elle ne pouvait pas poser ce geste si simple de tenir les mains d’un mourant. Le temps et ma reprise de conscience se sont accélérés à une vitesse folle et j’ai vite compris que je n’avais plus l’usage de mes mains, ni de mes pieds et que mon corps était brulé de part en part. Quand je pensais à mon cou, je le sentais; à mes cuisses aussi, à mes genoux, même à mes orteils et mes oreilles mais quand je pensais à mes mains, rien. Comme si je n’en avais plus.

 

La gentille infirmière aux cheveux blonds qui prenait si tendrement soin de moi semblait comprendre que je voulais tout savoir. Devant l’insistance que je déployais à travers mes yeux sûrement brûlés et rougis eux aussi, elle baissa les siens et je saisis que ma situation était peut-être désespérée. Pour me rassurer peut-être, elle me pointa  l’objet noir qui continuait à m’intriguer et à occuper une bonne partie de mes journées que j’avais recommencées à compter. Cela faisait six mois que j’étais là, paraît-il, puisque je décodais de plus en plus ce qu’on disait autour de moi et, depuis deux semaines que j’avais repris conscience, je n’avais pas encore pu identifier ce mystérieux objet. Sans attendre ma réponse qui ne viendrait pas puisque j’étais encore branché de partout, elle voulut me redonner de l’espoir en allant chercher l’objet pour me l’approcher.

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À ma grande surprise, c’était un boitier noir que je n’avais jamais vu de ma vie. Elle l’ouvrit délicatement et en sortit une guitare vraiment mal en point. Le bois semblait se décomposer, les cordes étaient toutes cassées et cet objet inconnu pour moi, ne pouvait être nommé guitare que par sa forme qu’il fallait deviner tellement on aurait pu penser qu’elle avait traversé un ouragan pour devenir si délabrée.

 

« Michel, commença-t-elle… »

 

Je me rappelai alors que je m’appelais Michel.

 

« L’homme qui vous a sauvé dans l’eau glacée du St-Laurent, a réussi à aussi récupérer votre guitare qui était encastrée entre des blocs de glace. On dirait que vous avez eu une chance identique d’être ramenés à la vie en même temps! »

 

Je lui souris du mieux que je pouvais même si, en voyant l’état de la guitare, je réalisais encore plus que j’étais en lambeaux et qu’un simple souffle un peu vigoureux détruirait à la fois cette guitare, qui ne m‘avait jamais appartenu, et le petit peu de vie qui me restait.

 

Deux jours plus tard, on retira l’attirail que j’avais dans la bouche et, en moins d’une semaine, je retrouvai l’usage très sommaire de la parole.

 

« Je… ne… que… ». Ouf, pas facile de réapprendre à parler et à bouger après avoir passé trop de temps dans l’eau et la glace brûlante du fleuve aux pieds de la ville de Québec près de l’Anse-au-Foulon où j’ai chuté puis glissé au fond du royaume de la mort d’où j’étais sorti parce qu’un miraculeux skieur de fond m’avait vu sombrer et qu’il a dépassé ses craintes et surmonté tous les risques pour me sortir de ce palais désenchanté qu’est peut-être la mort.

 

Tout le personnel de l’hôpital est venu un après l’autre me souhaiter bonne chance et me donner des encouragements. Mon ange blond, elle, continuait à prendre ses pauses auprès de moi, en approchant de plus en plus la guitare de mon lit pour me donner de l’espoir en mon plein rétablissement sans doute. Mais je n’osais pas lui dire que cette guitare repêchée ne m’appartenait pas. Je n’avais jamais joué d’aucun instrument et, de toute façon, cette guitare avait visiblement passé plus de temps que moi dans un monde glacé.

 

D’ailleurs, ma récupération fut spectaculaire et, au bout d’un mois à peine, je pouvais marcher, mal bien entendu, mais je pouvais me déplacer de mon lit vers une chaise, puis de la chaise vers mon lit, puis jusqu’à la porte de ma chambre que je me promettais de franchir le lendemain. Mes pieds, ma peau et mon visage brûlés par le froid; tout semblait récupérable.

 

« Vous aurez beaucoup d’efforts à mettre mais vous récupérerez toutes vos capacités… me dit un jour un de mes merveilleux chirurgiens…  enfin presque toutes! »

 

Il y avait à peu près dix spécialistes dans ma chambre quand on me révéla ces craintes et, par peur de mon découragement, on s’était assurés que ma chère amie infirmière soit présente. Elle s’appelle Solange et tous sont sortis précipitamment de ma chambre pour me laisser seule avec elle devant ce qui devait être un drame incroyable semblait-il pour moi; elle seule saurait me faire la révélation malheureuse.

 

Solange est allée chercher encore une fois la guitare en loque avant de m’annoncer une nouvelle qui allait peut-être m’achever, croyaient-ils  tous assurément.

 

Le temps s’est alors suspendu et entre le moment où elle s’avançait vers moi la guitare serrée sur son cœur, bien assis sur le coin de mon lit, j’ai réalisé tout ce qui m’était arrivé.

 

Ce jour de février dernier, je n’étais pas tombé dans l’eau; je m’y étais jeté. Chaque seconde de ma chute m’est alors revenue en mémoire. Je ne voulais plus vivre. Tout autour de moi, des dizaines de branches m’égratignaient le corps pendant que je glissais vers l’eau glacée et mortelle. Pendant que Solange continuait à s’avancer vers moi avec la guitare, je réalisais que lors de ma chute et de ma glissade, j’aurais pu m’accrocher au moins dix fois à une branche et ainsi ne pas sombrer. J’avais décidé de ne plus m’accrocher à la vie et de mourir. Mon esprit n’attendait plus rien de ma vie d’alors. Mes parents étaient morts l’année d’avant de deux cancers successifs, j’avais 17 ans, ma sœur continuait depuis toujours de me combattre comme un ennemi, mes amis m’avaient fui tellement je me trouvais nul et inutile et je n’avais aucun objectif de carrière, d’amour à partager ou de sujets à discuter; la vie ne m’intéressait plus. Je n’avais pas planifié mon plongeon dans l’eau mais en marchant seul vers nulle part ce matin-là et en m’approchant de cet endroit que j’avais toujours soupçonné être dangereux, je comprenais à chaque pas que c’était la fin.

 

Aujourd’hui, je suis triste en repensant à ce moment mais je dois me rendre à l’évidence, j’étais certain qu’il n’y avait rien pour moi et que le futur n’avait rien à m’offrir. POURTANT, tant de gens depuis cette chute m’ont prouvé et démontré qu’il y a tant de choses merveilleuses ici-bas.

 

Bref, je voyais au ralenti cette chère Solange, guitare détruite à la main, qui s’avançait vers moi et, même si je savais qu’elle allait m’annoncer une terrible nouvelle, je savais aussi que rien ne serait jamais aussi irréversible que ce moment où je m’étais laissé glisser vers le noir immense et silencieux qui aurait pu m’avaler la conscience et m’effacer du cercle de la vie.

 

« Michel… me dit Solange, une larme aux yeux… personne ne sait comment t’annoncer cela mais… »

« Solange, avant que tu ne parles et que tu me dises cette mauvaise nouvelle, laisse-moi te remercier. Tu m’as sauvé la vie; ton regard, ta présence, ton silence, pendant des jours et des mois, tu n’as pas pris tes pauses, tu étais là… pour moi. Merci »

« C’est quand j’ai vu ta guitare, Michel, me dit-elle en pleurant, que je me suis dit: ce gars-là, il a peut-être encore tellement de musique à partager avec son entourage. Tu sais que j’ai toujours rêvé de jouer d’un instrument? Alors, c’est moi qui te remercie car depuis que tu es ici, j’ai décidé de suivre tes traces et j’ai commencé des cours de piano. »

 

Je n’osais pas et je n’avais jamais osé lui dire que cette guitare n’était pas à moi et  que, même si j’avais parfois rêvé d’en jouer en assistant à des concerts, je n’avais jamais tenu une guitare dans mes mains. Je ne voulais surtout pas la décevoir en lui révélant la vérité mais l’important était qu’elle m’avait ramené à la vie et que ce petit mensonge silencieux lui avait permis de plonger dans ses rêves et m’avait redonné tant d’espoirs. Je le savais au fond de moi, à cet instant précis; la bienveillance de tous ces gens à l’hôpital m’avait enfin donné une famille, de la chaleur humaine et m’avait fait réaliser que quelque part dans le monde, il y avait des gens qui avait à cœur ma vie. Ils avaient déteints sur moi de leur amour et peu importe ce qu’elle m’annoncerait à l’instant, digne Solange, leurs soins m’avaient sauvé et désormais je ne me laisserais plus jamais sombrer.

 

« Solange, n’aie pas peur, je suis prêt à connaître ce qui m’attend! Y’a quelque chose qui ne va pas dans mon rétablissement, c’est ça? »

 

Elle me fit un signe de grande tristesse affirmative de la tête et se mit à pleurer et à trembler d’un profond malheur empathique. Je la pris entre mes bras et la consolai du mieux que je pouvais. Mes mains étant encore enveloppées dans d’épais bandages, il m’était difficile de la serrer fort et, là, comme il m’était arrivé plusieurs fois depuis mon malheureux incident, je compris en un éclair ce qui lui faisait si mal et je la délivrai d’un secret médical cruel.

 

« Solange, ne t’inquiète pas, je crois que j’ai compris…  laisse-moi t’aider. »

 

Elle arrêta lentement de pleurer et me regarda avec admiration devant ma sagesse émergente.

 

« Je sais que mes mains sont en mauvais était  et je crois que même si mes pieds, la peau de mon visage et tout ce qui n’allait pas bien dans mon corps se rétablissent tant bien que mal, les spécialistes savent … »

« Non Michel, ils ne sont pas certains… »

« Attends, je n’ai rien dit encore, dis-je en souriant! »

 

Je lui arrachai un sourire et je sais qu’à ce moment précis, elle vit toute la force qui commençait à m’habiter.

 

« Michel… tes mains… »

« Je sais Solange, ne pleure pas, je sais que les spécialistes pensent que je ne pourrai plus retrouver toute la dextérité dans mes mains et que… »

« Mais moi et, pas seulement moi, on pense que, peut-être, avec ta force de caractère, tu pourras rejouer de ta guitare! »

 

 

Je la trouvai si extraordinaire de me donner ainsi tant d’espoir que je me surpris à lui promettre quelque chose qui me dépassa et me dépasse encore aujourd’hui.

 

« Je te promets Solange que je vais faire mentir les experts;  je vais mettre tous les efforts pour un jour jouer de cette guitare! »

 

Son visage s’est illuminé et je n’ai plus vu une mère de remplacement devant moi mais une petit fille admirative qui vient de voir apparaître une fée qui connaît la magie et qui peut tout.

 

Durant les jours qui suivirent et même encore avant aujourd’hui quand elle lira mon histoire et qu’elle comprendra tout, je ne lui ai dit que cette guitare n’était pas à moi et que je n’avais jamais joué une seule note sur un instrument de musique. Pourtant je lui dis :

 

« Solange, toi et ton équipe, vous m’avez tellement donné que je te promets que si je retrouve l’usage de mes mains, je vais un jour te jouer une musique sur ce qui est difficile d’appeler une guitare tellement elle fait un peu pitié. »

 

Elle a ri, cette grande amie, et j’ai vu dans ces yeux que, noël approchant, elle fomentait déjà un plan qui allait changer ma vie à jamais.

 

Mon premier noël

Deux semaines avant noël, la guitare qui pourrissait dans ma chambre d’hôpital, disparut tout à coup. Pour ma part, j’avais d’autres préoccupations puisqu’on avait retiré mes pansements et que je pouvais constater les blessures peut-être irréversibles sur mes mains, mes jointures, mes doigts. Il y avait encore de l’espoir que la vie reprenne dans ces seules parties de mon corps qui semblaient être mortes dans mon incident de l’hiver dernier. On m’avait expliqué qu’on me laissait encore un bon mois mais que si la situation de mes mains ne s’améliorait pas, il faudrait peut-être penser à l’amputation. Je vous épargne ici les détails mais, mon moral était tellement bon malgré l’état de mes mains et…  il y avait la vie qui ne cessait de me manifester tant d’attention…  alors, j’étais capable de vivre sans mes mains s’il le fallait.

 

À l’approche de noël, Solange et toute l’équipe chuchotaient autour de ma chambre et je faisais tout pour ne pas montrer que je savais qu’on me préparait une surprise.

 

Mais une autre surprise, plus étrange, troublante et souffrante, est venue colorer mon retour au monde. Ma sœur Divina (c’est moi qui l’avait affublée de ce surnom dès que j’ai pu parler tellement elle bâtissait autour d’elle un monde où il n’y avait de place que pour son autopromotion) entra dans ma chambre pour m’annoncer… quoi au juste? Pas clair, vous allez voir!

 

« Michel, me dit-elle, en entrant maladroitement dans ma chambre et en jetant un regard dégouté autour d’elle, désolée, c’est l’hôpital qui m’a avertie de ce qui t’est arrivé. »

« Ça leur a pris 10 mois pour te retrouver!? »

« 10 mois? Ça fait si longtemps que tu es ici? Ça pu ici hein? »

« Un peu oui; la mort c’est pas si agréable tu sais! »

« La mort, la mort, t’es pas mort…  même que, ils m’ont appelé… »

«Quand? »

« Le lendemain de ta chute…  mais tu sais, les enfants, le travail, les voyages…  en tant cas, j’suis contente de voir que tu t’en sors…  et désolée pour tes mains… Penses-tu qu’ils vont te les couper? »

 

Je me suis mis à rire tellement cette fille n’aurait jamais dû être ma sœur. Tout chez elle était compétition; tout signifiait que si quelqu’un avait quelque chose, cela lui était enlevé à ELLE. Elle avait un an à peine de plus que moi et je sais que ma venue dans le monde ne lui a absolument pas fait plaisir. Elle a tout fait pour me rendre la vie impossible, pour me démontrer que je n’avais pas de place. Je vous éviterai ici les détails de cette ambiance horrible où toute mon enfance ne fut qu’une lutte incessante de tentatives de l’un pour nuire à l’autre. L’important ici dans l’histoire que je vous raconte, c’est de vous dire qu’enfin, cette souffrance face à elle, je ne la ressentais plus; j’étais guéri d’elle. Je pouvais enfin commencer à vivre.

 

« Divina! »

« Aaahh! Arrête de m’appeler comme ça! »

« DIVINA, qu’est-ce que t’es venue faire ici? Tu veux me dire quelque chose? »

« Euh! Oui…  j’suis mal à l’aise… ma fille a un concert de noël demain et ils m’ont appelée pour me dire que tu sortais demain…  désolée de te le dire mais tu n’as plus d’appartement…  on pensait que tu ne t’en sortirais pas…  désolée de te dire ça comme ça et, sache que je suis  contente que tu t’en sortes, même si tes mains, peut-être…  en tout cas... J’en ai parlé à mon mari et il a un malaise… Ma fille était d’accord mais tu sais LA VÉRITÉ SORT DE LA BOUCHE DES ENFANTS mon œil…  bref… »

« Divina...»

« Ça fait que… »

« DIVINA, chut… Je ne t’ai rien demandé et surtout, même s’il ne restait au monde que chez toi pour aller y vivre, je N’IRAIS PAS! »

« Ben là! »

« Écoute-moi, j’te dis… et ne me coupe pas!... C’est peut-être la dernière fois qu’on se parle! Pars … repars vers ta vie… notre venue au monde dans la même famille a été un malheur…ou plutôt une bénédiction… ça m’a enfin permis de comprendre d’arrêter d’attendre des autres leur attention, leur amour. Je vais m’occuper de moi et je n’ai pas besoin de toi! Merci de m’avoir appris ça! »

« Ça me fait plaisir,  mais je ne suis pas certaine de comprendre Michel »

« Divina, fous le camp d’ici et laisse-moi tranquille.  FOUS LE CAMP! »

 

 

 

J’ai passé noël dans une chambre d’hôtel, seul. J’ai reçu des invitations de Solange pour aller dans sa famille et de deux médecins aussi mais j’ai préféré voir comment je me débrouillais et je savais que je me sentais bien.  À 23h, toutefois, belle surprise; Solange, son mari et leurs deux enfants sont venus me rejoindrer avec un repas traditionnel. Elle avait même un cadeau pour moi.

 

« Michel, ferme les yeux! »

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Elle avait fait réparer la guitare et elle me redonnait cette désormais beauté qui dormirait peut-être dans une garde-robe quand j’aurais enfin un nouvel appartement pour recommencer ma vie, mais peu importait; c’était une attention si douce. Toute la famille me regardait tenir tant bien que mal la guitare sur mes genoux.

 

« Comment vont tes mains? » me demanda avec gentillesse la grande fille de 12 ans de Solange.

 

«Pas mal…  j’entre dans un centre de réhabilitation dans deux jours…  alors vous comprendrez que je ne vous jouerai pas tout d’suite ma dernière création musicale. »

 

Tout le monde a ri, en regardant tous ensemble la guitare, désormais semblable à une neuve.

 

« Le luthier a réussi à la refaire comme l’original. Tu vas être content, il a même pu récupérer la petite inscription qu’il a découverte sur ta guitare. Regarde! »

 

On pouvait lire, gravée dans le bois, l’inscription : « Le génie » M.D.

 

« Pourquoi c’est écrit ça? » a alors demandé la plus petite fille de Solange.

 

Je ne savais trop que répondre et je me contentai de sourire, heureux du bonheur de leur présence. 

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Au fil des mois où j’ai repris presque miraculeusement l’usage complète de mes mains, Solange et son entourage sont devenus ma nouvelle famille. Je me suis trouvé un appartement non loin de chez eux et, souvent, j’allais souper avec eux ou je les invitais chez moi. Je m’étais trouvé un boulot dans un organisme communautaire venant en aide aux nouveaux arrivants et j’ai, en grand secret, commencer à suivre des cours de guitare.

 

Cela fait deux ans que je travaille plusieurs heures par jour et je me suis découvert un véritable talent pour la musique; je ne suis pas un virtuose mais, tel un chansonnier, je peux chanter plus d’une centaine de chansons françaises.  Je me suis mis à composer des musiques et des chansons…  j’adore.  J’envisage même d’en faire une carrière.

 

Toutefois, il me reste toujours un questionnement face aux détours du destin qui m’a sauvé en plaçant Solange sur ma route et cette guitare qui appartient à ce fameux M. D.; ce génie, qui est-il?

 

Le lendemain de mon premier concert, lorsqu’une journaliste, qui a semblé bien apprécier ma performance, m’a demandé de lui expliquer ce qui était inscrit sur ma guitare; j’ai figé.

 

Avant d’aller plus loin et de plonger véritablement dans une carrière musicale, je me suis décidé à chercher à qui pouvait bien appartenir cette guitare et pourquoi celle-ci s’était retrouvée en même temps que moi au milieu des flots mortels.

 

Au détour de mes recherches et tout en continuant à créer de nouvelles chansons et en donnant de petits concerts, un jour, un jeune homme est venu me voir apès les saluts et m’a donné un petit mot sur lequel était inscrit :

 

« Si vous voulez savoir ce que veut dire M. D., appelez-moi! »

 

J’ai eu un grand frisson et une grande peur en lisant ce mot et le numéro de téléphone qui y était rattaché. Alors que j’avais souvent imaginé que son propriétaire s’était aussi lancé à l’eau en même temps que moi et que seul sa guitare avait survécu entre mes mains, je me demandais maintenant si j’étais en train de voler la carrière de quelqu’un en utilisant sa guitare?

 

« Bonjour monsieur M.D., lui dis-je tout d’suite au téléphone. J’aimerais vous redonner votre guitare! »

 

L’homme avait une voix cristalline et tellement belle que je ne sus quoi dire quand il me félicita :

 

« Vous en avez fait un excellent usage et je suis fier de vous! »

 

 

Puis, après quelques secondes de silence où je me suis laissé bercer par sa merveilleuse voix, je sortis de mon mutisme pour lui dire :

 

« Pourrais-je vous voir? »

 

 

Deux heures plus tard, j’arrivais chez lui, bien décidé à lui redonner sa guitare.

 

La porte s’ouvrit et je reconnus le jeune homme qui m’avait donné son numéro de téléphone.

 

«Vous êtes M.D.? C’est votre guitare? » lui dis-je

« Oui…  mais non! Commença-t-il. M.D., ce sont bien mes initiales… ou presque. Marc-Antoine Durand, enchanté et bravo encore pour vos chansons. J’ai appris votre histoire et vous pouvez être fier de vous. »

« J’suis venu vous redonner votre guitare! »

« Ce n’est pas ma guitare! Mais venez, j’ai quelqu’un à vous présenter! »

 

Il m’a demandé de le suivre jusqu’au salon où un homme d’une quarantaine d’année m’accueillit en me disant :

 

« Bonjour Michel, merci d’être là! »

 

Je reconnus aussitôt la voix que j’avais entendue au téléphone : une voix tellement belle et touchante. Ressentant immédiatement une grande empathie pour lui et soupçonnant qu’il était le vrai M.D., probablement le père du jeune homme qui venait de m’accueillir,  et le véritable propriétaire de cette mystérieuse guitare qui avait participé à ma résurrection. Avec grande joie, je tendis vers lui ma main droite pour lui serrer la main et, son hésitation me révéla rapidement sa situation tragique. M.D. s’appelait Marc Durand; il était bien le propriétaire de la guitare et il était amputé des deux mains.

 

Avec grande émotion, il me raconta l’accident de voiture qu’il avait eu l’an dernier qui l’avait finalement laissé sans ses deux mains. Il me raconta avec force émotion le moment où, la même semaine où j’avais pensé mettre fin à mon parcours de vie, il avait laissé glisser à l’eau sa guitare tant aimé qui lui avait jadis valu le surnom : « Le génie ».

 

Après une longue discussion, je lui remis sa guitare que je déposai entre les mains de son fils. Il me dit aussitôt de sa voix touchante et musicale :

 

« Michel, j’ai un cadeau pour vous! »

« Pour moi? Pourquoi? »

« Ma guitare, je vous la donne…  elle est à vous! »

 

Je ne sus dire que Merci et je lui demandai si je pouvais faire quelque chose pour lui.

 

« Oui, assurément! Est-ce que vous pourriez  jouer une musique pour moi, tout de suite; je chanterais avec vous!

« Oui, bien sûr! » répondis-je avec enthousiasme.

 

Il me parla d’une chanson de Julien Clerc que je connaissais justement pour l’avoir chantée en concert; la chanson QUAND JE JOUE!

 

Notre première expérience de duo fut absolument magnifique. Tout de suite, on a senti tous les deux que nos voix se mariaient tellement bien.

 

Maintenant, deux ans plus tard, nous avons donné plus de 150 spectacles ensemble et nous enregistrons en studio notre troisième album musical.

 

Le titre de notre nouveau spectacle est : À deux mains et à deux voix!

 

Sa guitare m’a sauvé la vie et sa voix m’enchante encore chaque jour!

 

Voilà, après tant de détours, comment j’en suis arrivé à réaliser le rêve de ma vie!

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